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mes plus belles dégustations oenologiques... ou les pire
2 septembre 2020

De l'Assyrtico à Tinos

Le vignoble d’Éole

 

Pas une âme à l’horizon, juste quelques chèvres et d’énormes blocs de granit qui jonchent le paysage, comme un jeu de billes de titans… « J’ai investi ici pour dynamiser l’endroit, le paysage », explique Alexandre Avatangelos. Le Clos Stegasta est la fierté de ce Grec. Il a voulu planter de la vigne ici même, à ­Tinos, une île de l’archipel des Cyclades, pauvre en eau, ventée par le Meltem, au point que certains en firent la demeure du dieu Éole. Un domaine de 9 hectares perché à 550 mètres d’altitude. Il a découvert ce lieu en 2002, et cela semble l’avoir bouleversé. Depuis, il poursuit la réalisation de son grand œuvre.

L’île se prête aux révélations. Au début du XIXe siècle, sainte Pélagie, après une série de songes durant lesquels elle vit la Vierge couverte d’or, fit creuser un terrain où l’on trouva une icône miraculeuse, aujourd’hui abritée dans la basilique du village. Avatangelos n’a pas vu la Vierge, mais il a rêvé de raisins superbes. « Les Phéniciens avaient planté de la vigne ici, mais nous n’avons pas pu retrouver le cadastre original. Seule la terre s’en souvient. Car la terre a de la mémoire, comme la vigne. Il s’agit pour nous de synchroniser cette mémoire racinaire et celle des sols… Par ailleurs, la vigne doit respecter la terre. Sinon, elle peut développer un sentiment de “culpabi­lité” », explique le propriétaire.

Alexander Avatangelos ne fait pas ses vins lui-même. Il fait confiance à sa petite équipe de vignerons et au consultant français Stéphane Derenoncourt, qui, au fil d’une longue expérience - 147 domaines font appel à lui dans 16 pays - s’est construit une vision personnelle de la viticulture. Derenoncourt sait évaluer quel type de vin une terre peut donner et ne laisse pas les propriétaires qu’il conseille se bercer d’illusions. L’homme, par ailleurs expert en biodynamie, à l’instar de son client grec, parle de la plante comme d’une personne. « La vigne, comme l’homme, si elle grandit sans frustration, ne sera pas très intéressante. La vigne a besoin de rester sur le fil de la souffrance », explique-t-il, quand on lui demande s’il faut recourir à une irrigation systématique. Sur ces terres arides, la pluie peut rester aux abonnés absents de mai à novembre. Pour éviter que la plante ne vive un supplice, le domaine profite de trois puits ancestraux, de deux forages et de réserves d’eau.

Sur un autre site, dans un vallon, il a planté 3 hectares de Mavrotragano, un cépage indigène dédié au rouge, répartis en 27 terrasses. « Ici, les sols de schiste, très pauvres, permettent de produire des vins sans lourdeur », commente Stéphane Derenoncourt. Trois mille bouteilles seulement en sont issues chaque année.

L’écologie commence par des produits d’excellence

De petits volumes, certes, mais qui satisfont Alexandre Avatangelos, passionné par cette production de précision. Les études et la carrière du Grec ne l’avaient pourtant pas directement préparé à la viticulture. Étudiant à Montpellier, il suit les cours d’Yves ­Michaud, obtient un doctorat en philosophie, s’intéresse ensuite à la psychanalyse ­lacanienne, mais aussi à la biochimie. Il étudie en profondeur l’homéo­pathie - il soigne d’ailleurs ses vignes avec des préparations à l’arnica - et beaucoup d’autres choses. Il écrit aussi de la ­poésie, en français.

Ses différents cursus bouclés, il se lance dans les affaires en réalisant du courtage dans le monde des armateurs, œuvre dans le secteur du bâtiment, en Afrique notamment, et dans le monde de l’énergie. Il est plus favorable au ­nucléaire qu’à « ces saloperies d’éoliennes que le gouvernement grec a voulu ­installer à Tinos. Dans un pays où le ­respect de l’environnement n’est pas ­toujours une priorité, où la nature est souvent abandonnée, il faut croire à ses propres principes », dit-il.

Avant de jeter l’ancre ici, le francophile s’est lancé une première fois dans le monde du vin à Santorin, en créant la marque Sigalas. Mais il a quitté cette île, déçu par les pratiques de certains : « Ils font n’importe quoi, là-bas. Ils font venir du raisin d’ailleurs, le vinifient sur place et le présentent comme un cru local… Et puis leurs vins ont un goût de caoutchouc brûlé. » Il a tout de même fait appel à un pépiniériste de Santorin qui lui livre les plants d’Assyrtiko, un grand cépage grec blanc. Pour lui, « l’écologie commence par la mise en production de produits d’excellence qui mettent en valeur un lieu. Elle procède d’une démarche privée, ou de l’assemblage de différentes initiatives privées ». Il dit « ne pas être lié au pays dans lequel (il) œuvre mais à l’endroit, au lieu », et pense que « le patriotisme ne se revendique pas, il est lié au produit et s’impose de lui-même ».

En vingt ans, l’homme a investi 10 millions d’euros dans son domaine. Il prévoit 3 millions supplémentaires pour l’édification d’un cuvier. « L’affaire sera peut-être rentable dans quatre ou cinq ans. » Il semble très excité par « la création de concepts invisibles que l’on arrive à rendre visibles » ou encore par « la chance du monde moderne, qui peut transformer l’inutile en vital ». En attendant, lui et son épouse belge, Anne, se sont installés sur la côte de Tinos. Les deux parlent avec passion de l’île, de la façon dont elle évolue, grandit.

Le vin d’Alexander Avatangelos est bon. Le blanc 2019, tendu à souhait, se montre riche, avec une agréable pointe saline. Un formidable compagnon des huîtres, poulpes ou oursins. Les millésimes précédents, le 2018 notamment, plus cristallins, gagnent avec le temps en ampleur, en puissance et accompagnent eux aussi avec bonheur taramas, maquereaux ou harengs. La cuvée « rare » du blanc est marquée par de discrètes notes citronnées. De leur côté, les rouges présentent une fraîcheur inattendue, se révèlent sapides, parfois avec un côté kirshé. Le 2018 est très réussi, avec une superbe profondeur de goût, une pointe épicée. La cuvée « rare » 2017, produite à seulement 2 000 exemplaires, se montre crémeuse et enveloppée à souhait.

Les prix de ces vins sont à la hauteur de leur rareté, jusqu’à 80 euros pour le rouge rare. Des tarifs sans commune mesure avec ceux des jus grecs lambda. Où les trouver ? Dans les restaurants d’Alain Ducasse, dont le directeur de la sommellerie, Gérard Margeon, est très impliqué dans le domaine grec. Ou sur le site du consultant Stéphane Derenoncourt. Forcément, c’est sur place qu’on les apprécie le mieux.

Pour se procurer les vins de Tinos : Terres millésimées, tél. : 05 57 74 98 27 et terresmillesimees.com

D'après leFigaro vins

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